MoscouArchitectureMaison Igoumnov, résidence de l’ambassadeur de France

Maison Igoumnov, résidence de l’ambassadeur de France

Au numéro 45 de la rue Bolshaya Yakimanka, à Moscou, une grande bâtisse se distingue des autres par son architecture sophistiquée et ses céramiques colorées. Il s’agit de la maison Igoumnov, résidence de l’ambassadeur de France en Russie. Revenons sur l’histoire de cette demeure, bâtie pour un riche marchand, qui alimente encore les légendes moscovites et reste aujourd’hui un lieu mythique de la représentation française à l’étranger. 

Adresse :Bolchaya Yakimanka 43
Fin de construction :1786
Architectes :Nicolas Pozdeev
Style :Éclectisme russe

Comment visiter la maison Igoumnov ?

Malheureusement, la maison Igoumnov ne se visite pas, car c’est la résidence de l’ambassadeur de France. À de très rares occasions, lors de réception, vous aurez accès à 4 salles.

Construction de la maison Igoumnov

nicolas igoumnov

La maison de l’ambassadeur de France est toujours connue sous le nom de celui qui la fit construire, le marchand Nicolas Igoumnov. Successeur d’une grande famille de marchands de Yaroslavl, propriétaire d’une usine de lin prospère et d’un gisement d’or en Sibérie, ce dernier hérite en 1888 d’un terrain situé au bout de la rue Bolshaya Yakimanka, acquis par les Igoumnov en 1851. Après avoir obtenu l’autorisation de la ville, il fait détruire la maison en bois inoccupée qui s’y trouve, construite sur des ruines de l’incendie de 1812, afin d’y bâtir un grand manoir à son goût. 

Le choix de cet emplacement pour construire sa demeure surprend, à l’époque : la rue Bolshaya Yakimanka est aux yeux des moscovites du XIXe siècle un quartier mal famé, et Igoumnov avait largement les moyens de choisir plus prestigieux. Il justifie ce choix en expliquant que c’est pour lui une manière de ne pas oublier ses racines — s’il n’a pas réellement grandi à Yakimanka, il n’a en effet pas toujours connu l’opulence dont il profite à ce moment de sa vie. De plus, il souhaitait s’établir un peu en extérieur de la haute société moscovite, loin de l’agitation du centre-ville. 

Pour son projet, il fait appel à Nicolas Pozdeev, architecte attitré de la ville de Yaroslavl. Celui-ci se spécialise dans le style de l’éclectisme russe, mêlant la modernité des nouvelles techniques de construction à des formes issues de l’architecture russe historique et du folklore, et a notamment travaillé à la construction des églises qui font la renommée de Yaroslavl. On estime le coût de la construction à un million de roubles de l’époque, auxquels il faut ajouter les frais nécessaire pour faire venir des briques de Hollande et produire des carreaux de céramiques polychrome dans la célèbre usine de porcelaine de Kuznetsov. 

Un style éclectique

Maison Igoumnov

Le style de la maison Igoumnov rappelle celui des grandes églises de Yaroslavl, mêlant les briques rouges et la céramique colorée représentant des personnages de la mythologie et du folklore slave. Le bâtiment se distingue cependant par son absence d’unité stylistique, puisqu’il ajoute aussi des formes issues du classicisme à la russe à son style folklorisant, fait pour imiter les vieux bâtiments slaves, ressemblant aux demeures occupées par les boyards de l’époque d’Ivan le Terrible. 

Les façades du bâtiment sont en effet réalisées dans l’esprit de l’architecture russe du XVIIe siècle et véhiculent une image qui ramène à l’époque des boyards, ce qui entre en grand contraste avec l’architecture à l’européenne toujours en vogue après Pierre le Grand. On y retrouve des éléments de sculpture sur bois, de pierre blanche, de forgeage et de moulage de métal, de peinture sur les voûtes et des éléments de maçonnerie en forme de brique. L’ensemble architectural du bâtiment est surplombé par des chapiteaux en forme de pics, des arcs voûtés et des colonnes. La toiture est faite de flèches rappelant celles des églises, ornées de détails de céramique à la mode de Yaroslavl, avec des supports métalliques fendus. 

igoumnov

Le mélange des différents styles se fait d’autant plus ressentir si l’on compare l’intérieur du bâtiment avec son extérieur. Les quarante pièces du manoir sont en effet décorées de tapisseries flamandes représentant des scènes allégoriques, et on peut aussi y croiser des meubles datant des XVIIe et XVIIIe siècles. Les murs de l’entrée sont ornés de peintures multicolores, et ouvrent sur un couloir qui mène à un grand salon, décoré dans le style Louis XV. Les chambres du premier étage semblent, quant à elles, inspirées du style Art nouveau qui connaît son essor en Europe. 

Si cet éclectisme dans l’architecture et la décoration pousse le critique d’art Vladimir Stasov à faire l’éloge du manoir dans ses lettres à Léon Tolstoï, c’est loin d’être l’avis de tous les visiteurs : la bourgeoisie moscovite et les critiques se sont bien souvent moqués de la dernière oeuvre de Nicolas Pozdeev pour l’effet de surcharge produit par ce mélange de styles qu’on aurait sûrement tendance à qualifier de « kitsch » aujourd’hui.

Une demeure maudite ?

De nombreuses légendes circulent à Moscou sur la maison de la rue Yakimanka — cette dernière aurait en effet été victime d’une malédiction. Le style « vieux russe » de la demeure ayant attiré les moqueries de ses premiers visiteurs, Nicolas Igoumnov aurait déchaîné sa colère sur son architecte, Nikolaï Pozdeev, en refusant de lui rembourser les coûts supplémentaires nécessaires à la fin des travaux. Ce dernier, désespèré par ses dettes, se serait alors suicidé en maudissant la maison et ses habitants. D’autres sources rapportent qu’il est en fait mort de la tuberculose en 1893,  avant de pouvoir finir les travaux, mais, quoi qu’il en soit, Igoumnov, occupé à ses affaires à Yaroslavl, ne s’est pas installé tout de suite dans sa nouvelle maison. 

En effet, il y héberge d’abord sa maîtresse, une danseuse de ballet nommée Varvara, à qui il rend visite de temps à autre, en se faisant annoncer par l’un des valets. Un jour, l’ayant surprise avec un autre homme : emporté par sa colère et sa jalousie, il l’aurait violemment battue. Personne ne l’a plus jamais revue : dans la capitale, on raconte qu’Igoumnov l’a emmurée quelque part dans sa maison. Près de deux siècles plus tard, cette légende est toujours racontée aux visiteurs, car elle continuerait à hanter les pièces de la maison de l’ambassadeur de France en tant que Dame blanche …

Je vous invite à lire Les secrets de la Maison Igoumnov par Yves Hamant ici :

igoumnov

Le départ d’Igoumnov

Comme s’il voulait faire oublier ces sombres évènements, Igoumnov organise une fête pour célébrer la fin de la construction de la maison. Afin d’impressionner ses invités, et d’afficher sa richesse, il fait recouvrir le sol de la salle de réception de pièces d’or, qui étaient à l’époque frappées à l’effigie du tsar Nicolas II. Cet événement remonte jusqu’aux oreilles du tsar, qui prend offense face à la valeur symbolique de ce geste, puisque les invités sont en effet finalement amenés à piétiner indirectement son visage… et il décide donc d’ordonner l’exil de Nicolas Igoumnov en Abkhasie. 

Cela n’empêche pas notre marchand de continuer à faire carrière, puisqu’il s’implante définitivement dans sa nouvelle région en participant à la reconstruction du village d’Aladkhaze, en y ouvrant une conserverie de poisson et en se lançant notamment dans le domaine de l’horticulture. Il achète en effet pour quelques kopecks des territoires marécageux qu’il fait assécher afin d’y planter des arbres exotiques, installant des grands vergers qui le font connaître comme un grand nom de la culture de citrons et de mandarines en Russie.

Malheureusement, il ne reste presque plus rien de son domaine à part une porte d’entrée et une bâtisse en ruine.

La maison pendant la période soviétique 

Après la révolution de 1917, Igoumnov, qui réside toujours en Abkhasie, fait volontairement don de sa maison, ainsi que du reste de ses propriétés abkhaziennes, aux autorités soviétiques, pour lesquelles il continue sa carrière en tant que simple ingénieur agronomes. De 1917 à 1925 s’y installe le club de l’usine Goznak, avant que Staline décide d’y implanter le premier institut de transfusion sanguine de l’Union Soviétique. Malheureusement, le premier directeur de cet institut, Alexandre Bogdanov, perd la vie suite à une expérience ratée, et le bâtiment devient alors l’Institut du Cerveau. 

En 1938, l’ambassadeur de France en URSS choisit la maison Igoumnov pour s’installer et remplir ses missions diplomatiques. Avant la Révolution, l’ambassade de France se trouvait dans la capitale, à Saint-Pétersbourg : on lui avait laissé l’usage d’un hôtel particulier sur les bords de la Néva. Mais, avec l’arrivée des bolcheviques au pouvoir, la capitale politique devient Moscou, et la France ne reconnaît pas encore l’Union Soviétique comme un pays à part entière, coupant pour un temps les relations diplomatiques. En 1924, les autorités françaises décident de reconnaître l’URSS et de reprendre ces relations, et donc d’installer leur ambassade à Moscou, afin d’être au plus proche du pouvoir politique. On leur accorde d’abord un petit hôtel particulier non loin de la rue Arbat, qui s’avère rapidement trop petit pour le nombre de diplomates. Parmi les nouvelles alternatives proposées se trouve la maison de la rue Bolshaya Yakimanka, qui séduit tout de suite l’ambassadeur français.

La maison aujourd’hui

En 2008, le ministre russe des Affaires étrangères et l’ambassade de France prennent conjointement la décision de rénover la maison Igoumnov, afin qu’elle conserve cette apparence singulière qui l’inscrit définitivement dans le patrimoine architectural russe. Les travaux durent quatre ans, de 2010 à 2014, et consistent principalement en une restauration de la façade et en un remplacement à l’identique des carreaux de couleur constituant le décor extérieur endommagé par le passage du temps. Ce projet remporte le prix de « Meilleur Projet de Restauration » dans le cadre du concours pour le meilleur projet dans le domaine de la préservation et du patrimoine culturel organisé par le gouvernement de Moscou en 2014. 

En tant que résidence de l’ambassadeur, le bâtiment est aujourd’hui fermé au public pendant la majeure partie de l’année, mais des visites sont organisées périodiquement, notamment lors des Journées du Patrimoine qui ont lieu deux fois par an. Il s’agit également d’un lieu de réception, où se tiennent divers cocktails et récitals, lors des événements diplomatiques importants. 

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