RussieDistrict SibérienAkademgorodok, un quartier hors pair de Novossibirsk

Akademgorodok, un quartier hors pair de Novossibirsk

Nous étions en pleine guerre froide, une période que nous aimerions oublier mais qui parfois semble revenir, comme les grandes marées… Et il fallait trouver un endroit éloigné de toutes les frontières pour y installer le cœur de la recherche de l’URSS.

Nous avons parlé du théâtre de Novossibirsk, qui a servi à abriter la collection de l’Hermitage pendant la deuxième guerre mondiale, afin d’éviter son pillage par les Allemands. C’est peut-être cet antécédent, en plus de son accès par le train depuis tout l’URSS, qui a valu à Novossibirsk d’être choisie pour la construction d’Akademgorodok, la cité de l’Académie, le lieu suprême de la recherche fondamentale d’URSS.

À départ, c’était la taïga, avec, à proximité, la route qui menait vers le sud, et l’immense retenue d’eau, la « mer d’Ob », à une centaine de mètres de la route. On a donc confié à un Académicien, Mickaël Lavrentiev, la responsabilité de construire une ville ab nihilo, une ville où se trouveraient les meilleurs instituts de Russie, avec les meilleurs savants-professeurs d’URSS, et évidemment où vivrait toute une population qui travaillerait dans tout cet ensemble académique. L’idée était d’apporter à tous les meilleures conditions pour un résultat final unique, un grand saut en avant scientifique et technique dont l’URSS avait besoin pour mériter la première place dans le monde. Il est à noter que l’on a construit ici l’un des premiers accélérateurs de particules au monde. C’est d’ailleurs lui qui a formé et forme encore quelques-uns des ingénieurs du CERN…

L’ambition n’était donc pas moindre !… Lavrentiev s’est donc mis à l’ouvrage, décidant de garder la nature présente dans la ville. Là où il n’y aurait pas de bâtiments, on laisserait les pins et les bouleaux originaux.

Akademgorodok doit beaucoup à cette idée de départ qui était de permettre à toute une population de vivre le mieux possible dans une zone close. Le pouvoir soviétique avait décidé de faire de la cité une zone à part, où la surveillance était moins sévère, où on tolérerait la curiosité, même pour les contestataires du régime. Vivez libres, vivez bien, mais soyez efficaces. C’est à cette condition que des professeurs de Moscou, une élite qui devait être très attachée à la capitale, ont accepté la contrainte de s’embarquer en Sibérie.

Voilà comment Akademgorodok est devenue, et reste encore aujourd’hui, un endroit exceptionnel.

Tout d’abord, Akadem, comme disent souvent les locaux, est une ville prévue pour aller à pied. Elle s’est construite de part et d’autre d’une grande artère, la « perspective de la mer », Morskoï Prospekt, et tout ce qui n’est pas le long de cette avenue et de quelques autres rues est peuplé de végétation. Une forêt soigneusement entretenue, composée surtout de bouleaux et de pins, et largement semée de parterres de fleurs que les habitants entretiennent jalousement quand ce n’est pas la commune qui s’en occupe. Au début de l’été, un ensemble de bosquets fleuris, les pommiers sauvages, les lilas, les aubépines, les cerisiers à grappes sèment un parfum sublime dans toute la cité. Si l’avenue de la Mer est bordée d’immeubles de style Staline (plus luxueux, aux plafonds plus hauts, consacrés à l’élite), on trouve partout ailleurs des immeubles de style Khrouchtchev (de construction plus légère, avec des appartements plus petits) alignés autour d’une cour centrale semée d’arbres et de pelouses. Ces immeubles ont la particularité d’être peints de couleurs joyeuses, alors qu’ils sont gris partout ailleurs. On en trouve des jaunes, des verts, des roses, des bleu-ciel. Du coup, s’y promener, hiver comme été, est déjà un vrai plaisir et un vrai étonnement. On prendra un sentier dans la forêt pour aller au supermarché du coin, et on traversera quelques cours intérieurs généreusement ornées de jeux pour enfants pour aller d’un endroit à l’autre.

On a bien compris qu’Akadem c’est la nature, la paix et un urbanisme harmonieux qui se fond dans la végétation. Mais en plus de cette situation naturelle avantageuse, la cité comporte de vraies curiosités à découvrir. Avec un guide c’est encore mieux !

Temps de lecture estimé : 14 minutes

Le musée de l’Institut d’archéologie et d’ethnographie

Tous ceux qui s’intéressent de près ou de loin à l’archéologie ou à la paléoanthropologie ont entendu parler de la grotte de Denisova, de la Momie de la princesse des glaces, des tumuli de la culture Andronovo et de celle de Pazyryk. Eh bien, tout cela a été découvert par l’institut d’archéologie et d’ethnographie d’Akademgorodok. Le musée de l’Institut est donc forcément d’un très grand intérêt, d’autant plus qu’il garantit, ce qui n’est pas le cas pour de nombreux autres musées, des œuvres originales. C’est ici que se trouvait la momie de la princesse des glaces, ou d’Oukok, jusqu’en 2012. Sa place, sous une cloche climatisée, est restée vacante, mais son voisin est toujours là et, comme la princesse, il présente aux bras de magnifiques tatouages beaucoup plus visibles que ceux de la princesse d’Oukok, dans son nouveau musée de Gorno-Altaïsk. Le musée d’Akadem n’a pas la grandeur et la richesse des reconstitutions du musée de Gorno-Altaïsk, mais c’est un authentique musée scientifique et les amateurs, ou non, d’archéologie se régaleront, surtout s’ils ont la chance de comprendre la visite guidée présentée par une vraie spécialiste. On découvrira aussi une très belle collection d’œuvres ethnographiques, de vrais costumes et tambours de chamans, et une superbe collection d’objets lithiques des cultures Afanasievo, Andronovo. Sans oublier les bronzes et les ors des Scythes de culture Pazyryk.

Le musée d’archéologie et d’ethnographie en plein air

Il y a un autre musée dépendant de l’institut, il s’agit du musée d’archéologie en plein air. Celui-là demandera une organisation spéciale car il est d’ordinaire fermé au public. Mais c’est un endroit fascinant et unique. Il se trouve à six kilomètres du centre d’Akademgorodok et il présente une collection de tous les types de mégalithes que l’on peut trouver en Sibérie : une belle collection de pierres à Cerfs, de Balbales des premiers peuples turciques, et même de pierres appartenant au culte bouddhiste de Mongolie et de Bouriatie. Bref des pierres gravées et dressées allant de 10 000 ans avant JC jusqu’au début de notre ère. On trouvera aussi des fragments de bâtiments ou des bâtiments complets. Un beffroi cosaque, une maison de marchand et surtout, la perle du musée, une église en bois, d’un style précédant la réforme du XVIIème siècle, l’église du Saint Sauveur. L’église a été découverte dans un village abandonné du nord-est de la Yakoutie, Zachiversk, et déplacée vers ce musée en plein air. Le bâtiment est vraiment impressionnant, avec des airs d’arche de Noe ou de vaisseau de fantasy. Il a été construit pas un système de chevilles en bois. Pas un clou, pas un écrou ! Une pièce vraiment unique sauvée de la destruction par une équipe de géologues, d’archéologues et d’architectes.

Le musée en plein air d’Archéologie et d’ethnographie sera un moment inoubliable de découverte et de détente.

Musée intégral

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Le musée intégral est un projet privé qui a été fondé par Anastasia Blizniouk. Il a été installé dans un appartement deux pièces typique de ce qui avait été le décor d’un habitant d’Akademgorodok dans les années soixante.

La caractéristique principale de ce musée est d’avoir été fondé par une passionnée, fille d’un couple qui avait eu sa grandeur dans les années que Nastia (diminutif d’Anastasia) appelle « les années du dégel », dans les années 70-80.

On peut se demander pourquoi ce nom « intégral » ? Il faut pour cela entrer dans l’histoire familiale de sa fondatrice. Le père d’Anastasia, Herman Beznosov, a en effet été le responsable d’un club ayant pour nom « sous intégral », et qui avait accueilli une partie des artistes contestataires de l’époque, à commencer par le plus connu en France Vladimir Vissotsky. Et c’est avec le fond légué par son père, objets et archives, que Nastia Blizniouk a commencé son projet de musée. Elle a donc repris ce nom, « intégral », qui deviendra une façon de désigner tout l’univers dans lequel vivaient ces habitants d’Akadem, une cité de paix et de liberté dans une Russie normative et poursuivant impitoyablement ses opposants.

La mère d’Anastasia, Svetlana, fait aussi partie des souvenirs que la directrice du Musée intégral porte en elle. Originaire d’Ukraine, elle avait rejoint la cité académique comme beaucoup d’autres étudiants, après avoir passé leur diplôme et recueilli les meilleures notes. Car les étudiants d’Akadem étaient ainsi sélectionnés dans tout l’URSS. Pourtant, d’avoir été l’une des 46 signataires de la lettre de défense des dissidents a gelé l’évolution prometteuse de sa carrière en commençant par l’exclure de l’Université. Il n’empêche qu’elle a été un professeur adulé de ses étudiants pendant plusieurs générations. Aujourd’hui, Svetlana Rojnova est lauréate du prix d’État, éditrice de la série de volumes « Folklore des peuples de Sibérie et d’Extrême-Orient » et compilatrice d’une épopée folklorique yakoute, ce qui est une preuve de son ouverture d’esprit.

Voilà d’où Anastasia a puisé les motivations de sauvegarder un monde, héritière de deux activistes des années du dégel, et conservant dans son appartement musée des objets au charme incomparable. Anastasia sera là pour vous accueillir, et, tout en vous servant un thé dans de la porcelaine des années soixante, elle vous parlera de cet Akadem d’exception qu’elle garde en tête, et qui ne manquera pas de vous passionner !

La France à Akademgorodok

Akademgorodok a reçu en 1966 le premier homme d’état du monde occidental. Qui ? Le président Charles de Gaulle. En effet, suite aux accords de coopération signés avec l’URSS, Charles de Gaulle est invité à Novossibirsk et visitera les instituts d’Akademgorodok, et notamment l’institut de l’énergie nucléaire qui était à l’époque un des secteurs de la science les plus stratégiques.

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Mais si l’on trouve sur le net quelques films racontant ce voyage historique de De Gaulle, on trouve cependant peu de choses sur une Française qui pourtant a vécu à Akadem au terme d’une destinée capricieuse. Il s’agit de la pianiste Véra Lautard. Elle est née à Turin en 1901. Fille d’un Français et d’une Espagnole, tous deux professeurs à la Sorbonne à Paris, Vera Lothar a étudié à Paris avec Alfred Cortot et à l’Académie de musique de Vienne. À l’âge de 14 ans, elle fait ses débuts avec un orchestre dirigé par le grand Arturo Toscanini. C’est le début d’un succès qui va être croissant et qui va l’amener à se produire dans le monde entier.

À Paris, elle va rencontrer l’ingénieur acousticien soviétique Vladimir Chevtchenko qu’elle épouse. En 1938, ils décident de partir ensemble en URSS. Mauvaise année. La chasse aux agents étrangers est à son paroxysme. Son mari est arrêté, puis exécuté et elle, malgré certaines protections se trouve arrêtée et envoyée dans un camp en Sibérie. Ce seront sept années selon les uns, onze selon les autres, qui vont complètement la transformer. Elle y a laissé sa jeunesse, ou trouvé la vieillesse … Cependant elle décide de tout faire pour ne pas perdre son jeu au piano. Sur une planche de bois elle dessine les touches d’un piano et va ainsi entretenir ses doigts sur un instrument silencieux…Libérée, elle passe quelques années dans un village, puis à Barnaoul où elle accompagne l’orchestre. Le 19 décembre 1965, un journaliste d’un journal d’état la remarque et publie sur elle un article enthousiaste. C’est alors que se constitue à Akademgorodok une guilde de supporters qui proposent à Lavrentiev de l’accueillir à Akadem. Le physicien n’est pas un grand amateur d’art mais il finira par se laisser convaincre. On lui confie un appartement à Akademgorodok et un piano. Elle se remettra à faire des concerts réguliers et vivra paisiblement à Akademgorodok jusqu’en 1982, à plus de quatre-vingts ans. Elle est enterrée dans un des cimetières d’Akademgorodok.

Il n’y a eu qu’un disque enregistré de Véra Lautard. C’était un supplément d’une revue musicale de Moscou, un petit disque souple en 33 tours. Bien sûr le Musée Intégral en a un exemplaire et vous pourrez l’écouter pendant le temps de votre visite…

Le jardin botanique

Le jardin botanique constitue une continuation logique de la promenade dans Akademgorodok. On traversera une zone de forêts pour ensuite parvenir au parc du jardin botanique de l’Académie. Un parc forestier très étendu, comportant 400 espèces dont 270 espèces de plantes médicinales. On pourra profiter des pelouses pour un pique-nique en famille ou entre amis. Un petit étang, une allée goudronnée et vous arriverez dans les alentours de l’institut où l’on forme les futurs botanistes. Autour du bâtiment peuvent se visiter divers jardins : le jardin des floraisons incessantes, avec 520 espèces de plantes, le jardin bonzaïs en plein champ, comportant 150 spécimens de plantes et quelques sculptures fantaisistes. Ailleurs se trouveront 359 espèces de plantes rares et menacées et, dans des serres hélas non ouvertes au public, l’institut recèle plus de 3000 espèces de plantes tropicales et une banque de graines de 1220 espèces !

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En bref, on aura plaisir à visiter cet immense ensemble très agréable autour d’un des hauts lieux de l’écologie sibérienne.

La plage

Au bord de la « mer », puisque c’est ainsi que l’on appelle l’étendue de l’Ob, à quelques kilomètres du barrage hydroélectrique.

La mer d’Ob commence après la petite ville de Kamen-na-Obi (« la pierre sur l’Ob »), au sud, et elle s’élargit progressivement sur environ 200 kilomètres. Nombreux sont les lieux de vacances, les résidences particulières ou les zones de datcha le long de ce lac de plus en plus large. Mais devant la plage d’Akadem, la « Mer » est au plus large, à tel point qu’on ne peut généralement pas apercevoir l’autre rive. Un pont piétonnier et une gare de train permet de se rendre sur une vaste plage. Si l’on veut longer le littoral, on pourra trouver des zones plus secrètes. Il paraîtrait même qu’on pratique le nudisme dans l’extrémité sud de la plage, là où des bosquets d’argousiers s’avancent vers le littoral…

akademgorodok

La grande plage est un endroit très populaire l’été où toute la population, étudiants et professeurs compris, viennent s’allonger au soleil. On s’y baigne le jour et le soir on peut faire des chachliks (brochettes marinées) dans des lieux aménagés que l’on peut louer pour quelques euros. On y trouve des cafés, quelques restaurants. Un endroit qui fait oublier que nous sommes dans un des lieux les plus éloignés des mers ou des océans.

Comme nous l’avons compris, Akademgorodok est un lieu hors pair et tout à fait moderne de la ville de Novossibirsk. Ici pas de pollution, pas de bruit, de trafic de voitures, mais un espace protégé, véritablement vert et écologique. C’est aussi un espace semé de hauts lieux de recherche, qui accueillent de nombreux étudiants internationaux dont quelques français, – même si aujourd’hui la cité sibérienne de l’académie n’est plus à la pointe de la recherche comme elle le fut dans les années 60-70. Elle a acquis par son originalité un statut de passage obligé pour les visiteurs de la ville. Ils pourront y passer une journée très agréable à flâner dans une zone urbaine où la nature est reine…

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