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Jardin d’Alexandre

Le long du mur Ouest du Kremlin, le jardin Alexandrovsky, ou jardin d’Alexandre, s’étend sur plus de 350 mètres, de la Place de la Révolution à la Tour Borovitskaya. Dans ce beau parc tout en longueur, on ne fait souvent que passer, en se rendant vers le centre-ville ou vers la Place Rouge, ou tout simplement en sortant du centre commercial d’Okhotny Ryad. Cependant, il vaut la peine de s’y arrêter quelques instants pour observer ce jardin rempli de monuments commémoratifs plus intéressants les uns que les autres. 

Estimation du temps de lecture : 16 minutes

Un jardin d’Alexandre bicentenaire

Le jardin Alexandre se trouve aujourd’hui sur un emplacement où s’écoulait, jusqu’au XVIIIe siècle, la rivière Neglinnaya. Quatre ponts permettaient aux moscovites de la traverser : les ponts Kuznetsky, Petrovsky, Voskresensky et Troitsky. Des festivals étaient organisés sur les berges de cette rivière à l’eau propre et à la réputation de lieu de pêche important. Mais, au fil du temps, avec l’urbanisation de Moscou, la rivière est polluée, et ses berges se retrouvent envahies par la végétation : la Neglinnaya est donc répartie dans des canaux, avant d’être canalisée puis d’être passée dans un tuyau sous-terrain long de trois kilomètres. 

jardin alexandre riviere neglinnaya
Photo actuelle de la rivière Néglinnaya se situant sous le jardin d’Alexandre et remontant vers Trubnaya en passant à Kuznetsky Most.

Cette canalisation est ordonnée par l’empereur Alexandre Ier au début du XIXe siècle, au moment de la reconstruction de Moscou à la fin de la Grande Guerre Patriotique et du grand incendie de 1812. C’est à Joseph Bové, architecte réputé, qu’incombe la tâche d’aménager un jardin dans le lit devenu vide de la rivière. Ce jardin est créé avec une vocation mémorielle, servant en effet commémorer la victoire de la Russie face à Napoléon au cours de la Grande Guerre Patriotique. Mais il s’agit aussi d’un lieu de loisir et de promenade, destiné à accueillir le public moscovite été comme hiver. 

Appelé à l’origine « Jardin du Kremlin », à cause de sa proximité avec la muraille du centre du pouvoir, le Jardin Alexandre a été construit en quatre ans, de 1819 à 1823. Il s’étend sur 350 mètres, sur une zone nivelée en trois parties, toutes recouverte de gazon et des tilleuls, bouleaux, sorbiers et autres arbres et arbustes issus de la biodiversité russe. Une porte en fonte représentant les symboles de la victoire dans la guerre patriotique, conçue par l’architecte Eugène Pascal, fait office d’entrée principale. Après le couronnement d’Alexandre II en 1856, le jardin est rebaptisé en son honneur. À cette époque, un fossé peu profond, planifié par Bové, délimitait la zone du côté de la rue Neglinnaya, et une clôture métallique basse longeaient le jardin — ceux-ci ne sont plus visibles aujourd’hui. 

De 2012 à 2013, le parc fait l’objet d’une rénovation, lors de laquelle on abat certains des vieux arbres : ce sont presque 3000 nouveaux arbres et arbustes qui sont plantés à leur place. On y aménage également une roseraie de 750m², mise en valeur par des éclairages modernes. En 2015, 26 000 m² d’asphalte ayant servi à l’aménagement du jardin au XIXe siècle sont remplacés par de nouvelles tuiles, et l’on effectue des réparations du côté des monuments ornant le parc. 

Le jardin accueille très souvent les événements de la ville de Moscou : en 2017, le parc a accueilli la cérémonie de clôture du festival de la musique militaire dans les parcs de la ville, ainsi qu’un spectacle de fanfare pour enfants dans la Grotte italienne. Chaque année, à l’occasion de l’anniversaire de la ville, en septembre, ainsi que du Jour de la Victoire, des fleurs sont déposées sur la tombe du Soldat inconnu en mémoire des soldats tombés pendant la Grande Guerre patriotique. Mais c’est surtout aujourd’hui un lieu de passage et de promenade, où l’on circule devant des monuments chargés de l’histoire de la ville et de la Russie entière. 

Les monuments du jardin supérieur

Tombe du Soldat inconnu et Flamme éternelle

Le 8 mai 1967, jour de la commémoration de l’armistice en 1945, un ensemble architectural commémoratif a été inauguré sur le territoire du Jardin supérieur. Sous l’inscription, « Ton nom est inconnu, ton exploit est immortel » sont inhumés les hommes de l’Armée rouge morts dans la bataille de Moscou en 1941, dont l’identité n’a pas été retrouvée. Cette tombe du Soldat inconnu consiste en une pierre tombale ornée d’une composition sculpturale en bronze, représentant un casque de soldat, une branche de laurier et un drapeau de bataille. À gauche de la Tombe se trouve un mur de quartzite cramoisi avec l’inscription : « 1941 — Ceux qui sont tombés pour leur pays — 1945 ». À droite, on peut voir une allée de granit composée de douze blocs de porphyre rouge foncé, chaque bloc portant le nom d’une des « villes-héroïnes » (Moscou, Léningrad, Toula, Minsk, Kiev, Volgograd, Murmansk, Smolensk, Odessa, Kertsch, Novosibirsk, et Sébastopol) et une étoile d’or. À l’intérieur de ces blocs, sont insérés des capsules contenant la terre des différentes villes représentées, comme un nouveau moyen de créer un lien symbolique avec ces lieux importants de l’histoire russe.

jardin d'alexandre tombe

Près du mémorial, on peut aller regarder brûler la Flamme éternelle, ramenée à Moscou depuis le Champ-de-Mars à Saint-Pétersbourg, et placée au centre de l’étoile par l’ex-président du Parti communiste Leonid Brezhnev, en 1967. Près de son flambeau se situe le Poste N°1 : des gardes du Régiment présidentiel s’y tiennent tous les jours, de 08:00 à 20:00, depuis le 12 décembre 1997. Chaque année, le 22 juin, jour où l’on commémore le début de la Seconde Guerre mondiale, une garde d’honneur se déplace, pour déposer des couronnes de fleurs et allumer des bougies commémoratives. En mai 2017, on a célébré le 50e anniversaire de l’allumage de la Flamme éternelle, ce qui a donné lieu à une importante cérémonie dans le jardin Alexandre. Des soldats ont renouvelé la flamme avec la même torche que celle utilisée il y a 50 ans, devant des citoyens réunis pour observer une minute de silence à la mémoire des personnes tuées pendant la guerre.

Grotte italienne

jardin d'alexandre grotte

L’un des éléments du jardin qui intrigue en général le plus les passants, c’est cette étrange grotte qui semble être creusée dans la muraille du Kremlin. Il s’agit de la Grotte en ruine, plus communément appelée Grotte italienne, qu’Ossip Bové, a fait construire au centre du jardin supérieur, près de la tour de l’Arsenal. Cet arc semi-circulaire fait de granit noir et de briques rouges, à l’intérieur duquel se trouve une porte en marbre avec quatre colonnes de style antique, est porteur d’une véritable valeur symbolique. En effet,  cette grotte a été construite à partir des ruines des maisons et bâtiments moscovites détruits par l’armée française en 1812, lors des guerres napoléoniennes, et symbolise alors la renaissance de Moscou après cet incendie dévastateur. 

Les grottes artificielles sont un élément typique de l’architecture des parcs et jardins du XIXe siècle : mélangeant le classicisme moscovite et une architecture antiquisante, la Grotte italienne est le résultat de l’addition d’une ambition décorative avec une volonté de se rappeler de l’histoire de la ville. Elle est taillée dans une colline artificielle qui existait déjà avant la construction des jardins, et servait de bastion pour la défense du Kremlin en temps de guerre — sa présence dans la muraille fortifiée crée cependant une rupture, qui contribue au mystère qu’a sûrement voulu lui faire évoquer son architecte. L’imitation de l’antiquité en décomposition, créant une image visuelle du passage du temps, devait donner à la structure un charme triste dans l’esprit du romantisme théâtral des ensembles jardins de l’époque.

Des historiens rapportent qu’au XIXe et au début du XXe siècle, un orchestre militaire s’installait dans la grotte pour jouer de la musique lors des occasions festives. On y organisait de nombreux divertissements pour les promeneurs moscovites. Lors des événements importants, comme les couronnement des tsars, la grotte italienne était décorée avec l’ensemble du jardin : on y ajoutait même des illuminations colorées, comme cela peut encore être le cas aujourd’hui, notamment à l’occasion de festivals. 

Selon certains historiens, les matériaux issus des ruines moscovites utilisés pour la construction de la grotte appartiennent plutôt à la légende, mais, pour la petite histoire, des archéologues se sont livrés, au moment de rénovation, à une analyse de terrain, qui leur a donné des résultats étonnants. En effet, on sait que les territoires de la deuxième terrasse supérieure de la rive gauche de la rivière Neglinnaya n’ont jamais été habités, et les archéologues ne s’attendaient donc pas à faire des découvertes importantes.

Cependant, dans le lit de la rivière, ils ont retrouvé du matériel de culture urbaine des XIVe-XVIIIe siècles, et même des restes humains datant du XVe siècle. En effet, une partie de la terre utilisée lors de la première fondation de la grotte, alors qu’elle n’était qu’un bastion militaire, viendrait d’un ancien cimetière. Toutes ces découvertes archéologiques sont conservées aujourd’hui dans les fonds du Musée-Réserve du Kremlin de Moscou.

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Obélisque des Romanov

En 1913, pour célébrer les trois cent ans du règne des Romanov, l’architecte Sergueï Vlasyev conçoit un obélisque qu’on érige près de l’entrée principale du jardin. Il s’agit d’une stèle à quatre têtes, couronnée d’un aigle bicéphale : sous l’obélisque se trouvait un lion avec une épée et un bouclier, symbole du pouvoir du Tsar, les armoiries et les noms des Romanov, ainsi que les armoiries des principautés et des provinces de l’Empire russe. Ceux qui connaissent un peu l’histoire russe savent que la famille Romanov ne restera pas au pouvoir bien longtemps après la construction de cet obélisque : après la révolution d’octobre 1917, ce dernier est rebaptisé « Monument aux révolutionnaires et théoriciens du socialisme » et remodelé. Le pouvoir communiste en place y supprime les symboles tsaristes, en remplaçant les noms des Romanov par des noms de figures révolutionnaires. On pouvait alors y lire : « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! ». 

jardin alexandre

En 1966, l’obélisque est déplacé dans la partie centrale des jardins supérieurs, à côté de la grotte des Ruines, et conserve cet emplacement après sa rénovation, en 2013, qui lui rend son apparence originale, afin de commémorer l’histoire de la Russie tsariste et de la dynastie Romanov.

Le monument à Robespierre, statue éphémère

Conçu par la sculptrice Béatrice Sandomirskaya pour remplacer l’obélisque des Romanov après la révolution, un monument au célèbre révolutionnaire français Maximilien Robespierre a été installé dans le jardin d’Alexandre le 3 novembre 1918. Pas plus de 4 jours plus tard, au matin du 7 novembre, on retrouve le monument entièrement détruit : la cause exacte de cet acte de vandalisme n’a jamais été établie — et le coupable est encore inconnu à ce jour ! 

jardin alexandre

Monument au patriarche Hermogène

En 2013 est aussi bâti un nouveau monument qui renvoie à la Russie des Tsars : il s’agit d’une statue en bronze, élevée sur un piédestal en marbre, représentant le patriarche Hermogène. Conçue par Ilya Glazunov, membre émérite de l’Académie russe de peinture, de sculpture et d’architecture, elle a été installé dans le jardin pour rendre hommage à cet homme d’Eglise, métropolite de Kazan puis patriarche de Moscou, qui aida à la libération de la ville du joug polonais au début du XVIIe siècle et participa à l’accession de la famille Romanov à la couronne impériale — ce qui lui valut sa canonisation en 1913. Le piédestal est orné de bas-reliefs : l’un représente la scène de l’élection de Mikhaïl Romanov comme tsar, l’autre le patriarche Hermogène emprisonné par les Polonais.

Le complexe de fontaines

En entrant dans le jardin par le côté de la place Manezhnaya, on peut admirer au printemps et en été un complexe de fontaines datant de 1996. Ce dernier est composé de six fontaines, toutes ornées de sculptures et de mosaïques de l’artiste Zurab Tsereteli : le Geyser, la Rivière Neglinnaya, le Voile, l’Escargot, la Cascade, et la Grotte.

Le Geyser est la plus grande des fontaines du complexe : comme son nom l’indique, elle est composée de plusieurs petits jets d’eaux verticaux, et décorée d’une sculpture de quatre grands chevaux symbolisant les quatre saisons. 

La Rivière Neglinnaya est un hommage à l’histoire du parc, ainsi qu’à l’histoire du peuple russe : la forme de la fontaine, ornée de mosaïques bleues, imite le lit de la rivière qui passait près du Kremlin. Elle est ornée de différentes sculptures, représentant des personnages issus des contes populaires russes, facilement reconnaissables, comme une sirène, la princesse-grenouille, et Ivan-Tsarévitch…

jardin alexandre

Le jardin intermédiaire

La partie intermédiaire du jardin Alexandre a été ouverte au public un an après le jardin supérieur, en 1822. Il s’étend de la tour Troitskaya à la tour Borovitskaya, soit sur une longueur de 382 mètres. Aux XVIe et XVIIe siècles, le site abritait le jardin de l’apothicaire du Gosudar, où l’on cultivait des herbes municipales. Depuis 2017, cette partie du jardin abrite les bureaux des musées du Kremlin de Moscou : on peut y observer ce qui reste des bâtiments historiques datant de la construction du Kremlin. 

Tour Kutafya

La tour Kutafya, haute de 13,5 mètres, est la seule tour de diversion qui subsiste du Kremlin original. Elle a été érigée en 1516 sous la direction de l’architecte Aleviz Friazin, et servait alors d’obstacle lors des sièges militaires, entourée par la rivière Neglinnaya et un fossé. C’est en 165 qu’elle a obtenu son aspect actuel, décorée d’une couronne ajourée avec des détails en pierre blanche. 

Le pont de la trinité

Le pont Troitsky – ou pont de la Trinité – est l’un des plus anciens ponts en pierre de Moscou. Bâti en 1516, il relie les tours du Kremlin Kutafya et Troitskaya. Il est aujourd’hui orné d’un sommet ajouré  avec des détails en pierre blanche, apparu la même année que la décoration de la tour Kutafya. Après la reconstruction supervisée par Bové, le pont Troitsky s’est retrouvé au centre dujardin d’Alexandre, mais il faisait toujours partie de la route menant au Kremlin par la tour Troitskaya. Bové a également conçu les rampes, qui n’ont pas survécu jusqu’à nos jours : elles menaient au jardin depuis le pont, décorées de treillis, de vases et de lanternes, qui formaient une seule composition avec l’arc sous le pont.

Monument à Alexandre Ier

Le 20 novembre 2014, dans la partie intermédiaire du jardin d’Alexandre, on a inauguré un nouveau monument construit pour honorer celui qui donna son nom au parc. Cette statue réalisée par Salavat Scherbakov représente le tsar Alexandre Ier en uniforme complet, tenant une épée, l’arme de l’un de ses ennemis gisant à ses pieds. Le monument est également orné de bas reliefs en bronze, représentant respectivement la bataille de Borodino, les commandants de la guerre patriotique de 1812, le moine Séraphin de Sarov et deux églises – la cathédrale du Christ-Sauveur et la cathédrale de Kazan.

jardin alexandre 1er

Le jardin inférieur

Le jardin inférieur est la plus petite des trois parties composant le jardin Alexandre : il ne s’étend que sur 130 mètres. Inauguré en 1823, il couvre la distance entre la tour Borovitskaya et la digue du Kremlin, non loin de la statue du Prince Vladimir, près du fleuve Moskova. Il a été inauguré en 1823 et s’étend de la tour Borovitskaya à la digue du Kremlin. Cette partie du jardin ne comporte pas d’allée de promenade, et n’a alors qu’une visée décorative, apportant de la verdure aux abords du Kremlin : depuis 2017, elle est d’ailleurs fermée au public.

Le jardin dans la culture populaire

Si l’on y prête suffisamment attention, on peut retrouver le jardin Alexandre dans le décor de nombreux films dont l’intrigue se déroule à Moscou, tant il est au centre de la ville, et constitue un lieu de passage et de promenade important pour les moscovites. Il n’est pas non plus rare que des héros de roman s’y promènent : c’est notamment le cas des personnages du très célèbre Le Maître et Marguerite de Boulgakov. Ce lieu historique a de plus inspiré une série détective, qui porte son nom (Alexandrovsky Sad), sortie en 2005, et disponible aujourd’hui gratuitement sur Youtube : le jardin y devient le cœur d’intrigues policières. 

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