MoscouArchitectureLoubianka, la maison des horreurs

Loubianka, la maison des horreurs

Cœur du système répressif soviétique

Chaque époque du passé laisse derrière elle ses propres symboles. Parmi les symboles de l’ère soviétique, le bâtiment de la Loubianka se distingue. Il est associé à une quantité énorme de rumeurs, de fables, de secrets. Cela n’est pas surprenant, pendant de nombreuses années, le bâtiment a été le siège de la tchéka, du OGPU, du NKVD, du KGB et des services spéciaux les plus puissants du monde dont l’actuel FSB.

« Chaque étranger qui visite le Moscou soviétique aimerait voir les caves de la Tchéka », écrivait Mikhail Koltsov. Du temps de Staline, le brillant essayiste a vu, grâce au leader, un tel sous-sol avant d’être abattu.

Attention

La Loubianka ne se visite pas ! Ce n’est pas un musée et il n’est pas possible d’y entrer !

L’immeuble de la Loubianka (en russe : Лубянка) est un mystère à lui tout seul. Il est bien là mais on ne voit jamais personne y rentrer ou en sortir. Peut-être que les rentrants n’en sont jamais sortis…

De Catherine II à la révolution – la constitution de la Loubianka

Le territoire situé entre la place Loubianka et la porte Sretensky est connu depuis le XIIe siècle sous le nom de Champ Kuchkov, en rapport au nom du rebelle boyar Kuchka, mis à mort après sa rencontre avec le grand-duc Yuri Dolgoruky. Depuis lors, l’endroit est sinistre et effrayant.

Les historiens se disputent encore à propos du nom de Lubyanka. Selon la légende, après l’annexion forcée de Novgorod, et afin de détruire l’esprit trop indépendant de Novgorod, Ivan III avait fait transférer plus de trois cents des familles les plus distinguées de Novgorod à Moscou, sur le territoire du quartier actuel de Loubianka. À la mémoire de leur ville natale, où se trouvait la rue Lubyanitsa, les colons ont apporté ce nom à la capitale.

En 1662, Lubyanka devint l’épicentre de l’émeute du cuivre. Le soulèvement fut brutalement réprimé et 30 instigateurs de la rébellion furent exécutés sur la place. Du sang a été une nouvelle fois versé à cet endroit.

Au XVIIIème siècle, sur le côté nord de la place Lubyanka, siégeait la Chancellerie Secrète, où étaient interrogés et torturés les suspects.

Première système d’interogation

Sous Catherine II, la Chancellerie Secrète est remplacée par l’Expédition Secrète des Affaires d’Investigation. On y traitait les affaires d’insultes envers les personnes dirigeantes, de frappe de fausse monnaie et de crimes contre l’État. Le secrétaire en chef de l’expédition secrète, Stepan Ivanovich Sheshkovsky, « l’omniprésent », était farouchement craint et détesté. Il avait créé un tel réseau d’agents qu’il pouvait à tout moment informer Catherine II des actions et des projets de ses sujets. Il avait créé un système d’interrogatoire dont on racontait les horreurs.

L’interrogatoire se déroulait dans une salle ornée d’icônes alors que les sous-sols étaient équipés pour la torture. La rumeur disait que dans le bureau de « l’omniprésent » se trouvait une chaise spéciale. Dès que l’invité s’y installait, un mécanisme secret s’activait et le prisonnier ne pouvait plus se libérer. Au signe de Sheshkovsky, la chaise tombait sous le sol et seule la tête et les épaules du coupable dépassaient tandis que le reste du corps pendait sous le sol. Là, des serviteurs fouettaient le suspect avec diligence.

La compagnie Rossia

Loubianka, la maison des horreurs

Dans les années 1870, la maison de la Loubianka fut rachetée par un riche propriétaire terrien, Nikolai Mosolov. Solitaire, il vivait dans un immense appartement du bâtiment principal et louait les dépendances et les cours à une compagnie d’assurance et à des magasins. Dans les étages supérieurs se trouvaient des chambres meublées, occupées par d’anciens propriétaires terriens appauvris qui vivaient des vestiges de la « rédemption » des paysans qu’ils avaient libéré. En 1894, Mosolov vend tous ses biens à la compagnie d’assurance « Rossia ». La société a alors demandé aux autorités l’autorisation de construire un nouvel immeuble d’appartements en pierre de quatre ou cinq étages et comportant de nombreux appartements.

Le projet était de construire deux bâtiments de même style, séparés par Malaya Lubyanka. L’architecte A.V. Ivanov est chargé du projet. En 1898, le premier bâtiment est érigé. Son toit était orné de tourelles et la partie centrale surmontée de deux figures féminines symbolisant la justice et la consolation. Le deuxième bâtiment de quatre étages a été construit entre 1897-1900.

De l’installation de la Tchéka à nos jours

En décembre 1918, les compagnies d’assurance privées sont liquidées et leurs biens nationalisés. Au siège de la compagnie d’assurances « Rossia » dans la Loubianka, qui devait être confié au Conseil des Syndicats de Moscou, a vu à la place s’installer les représentants de la tchéka.

En septembre 1919, seule une partie du bâtiment était occupée par des employés de la section spéciale de la tchéka de Moscou, avant que tout le bâtiment ne soit confié au bureau central de la tchéka. Dès lors s’y succèderont les services spéciaux – l’OGPU, le NKVD et le ministère de l’Intérieur, le NKGB, le MGB et le KGB de l’URSS, puis en 1996, le FSB.

À la fin des années 1920, l’encombrement du ministère à Loubianka pousse à la construction d’un autre bâtiment dans le style constructiviste. Le nouveau bâtiment fusionna avec l’ancien. Il avait une forme de Ш, comme s’il disait “Sh’!” (chut). La prison interne fut également reconstruite et 4 étages supplémentaires y furent ajoutés.

Prison politique

Pendant les années de répression politique de masse, l’évocation de la Lubyanka suscitait la crainte. C’est là qu’étaient conduits les suspects de crimes contre le gouvernement soviétique. Leur destin se décidait dans les sous-sols de la Loubianka.

En 1939, Lavrenty Beria chargea A.V. Shchusev (l’architecte du mausolée de Lénine) de développer un projet de reconstruction de la Lubyanka. La guerre freinant les travaux et le projet ne fut achevé qu’en 1947.

Fin de l’horreur

En 1961, la prison intérieure de la Loubianka fut fermée. Son dernier prisonnier était le pilote et espion américain Harry Francis Powers. Une partie de la prison fut transformée en cantine et les autres pièces transformées en bureaux pour les officiers du KGB.

En août 1991, la statue de Dzerzhinsky est démantelée au grand bonheur des spectateurs (on l’aperçoit maintenant à Krymsky Val dans le parc Muzeon au milieu des camarades défaits) et la place a retrouvé son ancien nom, Lubyanskaya.

Zoom sur la période de la « Terreur rouge »

Pendant la première guerre mondiale et après avoir survécu à une seconde révolution, une nouvelle organisation voit le jour. Elle deviendra l’un des services de renseignement les plus puissants du monde. Nous parlons de la tchéka (qui deviendra ensuite le OGPU, le NKVD, le KGB puis le FSB). Indéniablement, le “Comité” jouait et continue de jouer un rôle de premier plan dans la vie politique de l’URSS et de la Russie moderne. Ainsi il n’est pas étonnant que deux personnes de ce service spécial aient dirigé et dirigent l’état, Youri Andropov et l’actuel président, Vladimir Poutine.

L’ancêtre des services de renseignements de renommée mondiale était la tchéka, la « commission d’urgence ». Elle représentait la plus célèbre idée du pouvoir soviétique. Le 20 décembre 1917, elle est créée par un décret du Comité Exécutif Central Russe des Soviets.

Après l’installation du gouvernement soviétique à Moscou à l’hiver 1918, la tchéka prend possession du fameux bâtiment de la Loubianka à la place de la compagnie d’assurance « Rossia » et plonge la Russie dans la peur.

Les Moscovites plaisantaient “C’était Gosstrakh, et c’est devenu Gosuzhas».
(Gosstrakh réfère à une compagnie d’assurance d’état signifiant aussi « état juste » et Gosuzhas signifie « état horrible »).

Droit de tuer

En septembre de la même année commence la tristement célèbre « Terreur Rouge », déclarée par un décret du Comité Exécutif Central Russe le 2 septembre. Ce même décret a introduit la peine de mort, motivée par « la conscience du soi révolutionnaire » ou « l’auto-gouvernement des individus » pour justifier leurs actions des bolchéviques.

À titre d’exemple pour ses employés, le dirigeant bolchevique Ulyanov (Lénine) se référait au dirigeant de la « Grande Révolution Française », Fouquier-Tinville, président impitoyable, féroce et inexorable du Tribunal jacobin, qui a envoyé des centaines de personnes à la guillotine.

Le décret ordonnait « Tirez sur tous les contre-révolutionnaires. Donner aux districts le droit de tuer. Construisez de petits camps de concentration dans le district ». Le commissaire aux affaires intérieures Grigory Petrovski déclarait « La bourgeoisie et ses officiers prennent un nombre important d’otages. À la moindre tentative de résistance ou au moindre mouvement dans l’environnement de la Garde blanche, une exécution de masse inconditionnelle devrait être utilisée. Felix Dzerzhinsky, le premier directeur de l’institution, disait « Nous devons maintenant prendre toutes les mesures de terreur, donnez-lui tout le pouvoir ! Ne pensez pas que je recherche une forme de justice révolutionnaire : la justice n’est pas pour nous maintenant ».

A l’automne 1918, plus de 50 000 personnes avaient été abattues, essentiellement des étrangers, des membres du clergé, de l’intelligentsia, des anciens responsables et des membres de partis interdits.

Une histoire bien connue en Russie raconte que lors d’une réunion du Conseil des Commissaires du Peuple, Lénine remis une note à Dzerzhinsky disant « Combien y a-t-il de contre-révolutionnaires malveillants dans les prisons ? » Dzerzhinsky répondit « Environ 1500 ». Lénine inscrivit une croix sur la note (habitude signifiant qu’il avait lu le document). Mais le chef de la tchéka, Felix Edmundovich Dzerzhinsky, interpréta cette croix complètement différemment, se leva silencieusement, sortit, et alla immédiatement à la Lubyanka ordonner leur exécution.

En 1926, immédiatement après la mort de F. Dzerzhinsky, la place et la rue Bolchaïa Lubyanka furent renommées en son honneur.

À l’époque des fameuses purges staliniennes de la fin des années 1930, les commissaires de l’intérieur du peuple, Yagoda et Yezhov, et plus de 1 700 agents ayant travaillé depuis la fondation de la tchéka furent abattus.

Suite et fin

En 1954, après la mort de Staline, un autre ancien chef de ce service spécial, Lavrenty Beria, fut déclaré espion anglais et « collé au mur ». Cependant, sous les successeurs de Staline, l’organisation maintenant appelée KGB (Comité de Sécurité de l’État), est passée d’un véhicule de destruction à une police politique « civilisée ».

En août 1991, le KGB fut divisé en plusieurs agences indépendantes sous l’ordre de B. Eltsine mais en décembre 1991 la tentative de liquidation de l’institution en la fusionnant avec la police fut bloquée par la cour constitutionnelle.

La prison secrète de la Lubyanka

Pendant les années de répression politique de masse, le mot Loubianka suscitait la crainte. C’est là qu’étaient conduits les suspects de crimes contre le gouvernement soviétique. Leur destin se décidait dans les sous-sols de la Lubyanka.

Les suspects ne restaient dans cette prison que pendant leur procès avant d’être transférés ou abattus. Les pièces et les cellules étaient identiques les unes aux autres afin que les prisonniers ne puissent pas s’orienter. Il y avait du « vide » dans les murs, de sorte à ce que les suspects n’aient pas la possibilité de communiquer en morse.

Le bâtiment le plus haut de Moscou

La prison de Loubianka, la triste célèbre ‘Nutryanka’, était la prison interne de la tchéka. Les rumeurs lui prêtaient six étages et dix sous-sols, des portes de fer, des cages d’escalier étroites et des cellules situées dans la cour de la maison numéro 2, d’où le nom de « prison interne ».

D’après les instructions relatives à la gestion de la prison interne (secrète) de l’administration des affaires du département spécial de la Tchéka, approuvées le 29 Mars 1920 « La prison interne (secrète) a pour but de détenir les plus importants contre-révolutionnaires et les espions pendant que l’enquête est en cours afin qu’ils soient complètement coupés du monde extérieur ».

L’architecte a décidé de résoudre le problème de la promenade des prisonniers en aménageant six cours de promenade dotées de hauts murs sur le toit du bâtiment. Les prisonniers y étaient amenés par des ascenseurs spéciaux.

Curieusement, dans les années 1930, les moscovites continuent à plaisanter : « Quel bâtiment est le plus haut de Moscou ? La Lubyanka. Depuis son toit, vous pouvez voir la Kolyma (Goulag en Sibérie). »

Les caves de la Loubianka

Yagoda, Yezhov et Lavrenty Beria y pratiquaient un système d’oppression de la psyché des prisonniers pour les rendre dociles.

Ainsi est né le mythe des « caves de la Lubyanka ». Un mythe qui, dans les années soviétiques, se transmettait de génération en génération.

Les anciennes chambres avaient été transformées en cellules, non numérotées, afin que les prisonniers ne puissent pas en connaître le nombre total ni savoir le lieu de leur détention.

À l’intérieur, la vie était très différente de la vie dans les prisons ordinaires. Les prisonniers n’étaient pas autorisés à recevoir la moindre information ni à transférer des informations en dehors de la prison. Les prisonniers se voyaient interdire toute correspondance avec leurs proches. À l’exception des cas spécialement autorisés, l’utilisation d’ustensiles d’écriture était aussi interdite.

Contrairement à la croyance populaire, ils ne sont ni battu ni torturé dans les cellules. Ils le sont lors des interrogatoires qui se déroulaient dans les bureaux des enquêteurs, où les tables et les tabourets étaient fixés au sol. Il n’y avait pas d’outils spéciaux permettant d’obtenir les aveux du suspect comme ce fut le cas dans les cachots de la Gestapo.

On y pratiquait la torture psychologique et la torture par l’insomnie. Après trois jours d’interrogatoires intenses sans dormir, les prisonniers oubliaient le temps. Cauchemars et hallucinations s’installaient avant qu’une peur oppressante ne se transforme en panique. Après deux jours, privés d’un sommeil complet, les prisonniers acceptaient tout…

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